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Constat d’achat : la Cour de cassation dit stop à la nullité automatique
02.06.2025
Dans un arrêt remarqué du 12 mai 2025, la Cour de cassation clarifie la portée du principe d’indépendance du tiers acheteur lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat d’achat par un commissaire de justice.
Revenant sur sa jurisprudence, la Cour écarte la nullité automatique en cas de lien entre le tiers acheteur et la partie requérante. La Haute Juridiction adopte désormais une approche plus souple, recentrée sur la loyauté de la preuve et l’absence de stratagème.
Une décision qui marque une inflexion pragmatique dans la jurisprudence, et un coup d’arrêt aux moyens dilatoires souvent soulevés à ce sujet
Position de la jurisprudence antérieure
Par un arrêt du 12 mai 2025 (pourvoi n°22-20.739), la Cour de cassation réunie en chambre mixte a renouvelé sa jurisprudence en matière de nullité d’un procès-verbal de constat d’achat effectué par un commissaire de justice.
On rappellera que par arrêt précédent (Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, 14 novembre 2024 – n° 22-20.447), la Haute Juridiction avait statué concernant le dépassement de ses pouvoirs par un commissaire de justice.
Il était en effet soutenu qu’un constat était nul dans son intégralité compte tenu de la violation, par le commissaire de justice, des limites de l’autorisation donnée par l’ordonnance le nommant.
Par cette précédente décision, la Haute Juridiction avait déjà assoupli sa jurisprudence en matière de nullité de constat en décidant que
« seules les mesures d’exécution de la saisie-contrefaçon qui en sont affectées et les mentions du procès-verbal qui relatent ces mesures, sont annulées. […]
En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l’irrégularité retenue avait affecté l’ensemble des mesures réalisées, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
La Haute Juridiction cassait donc l’arrêt d’appel qui avait prononcé la nullité de l’ensemble des mesures réalisées.
Une nouvelle pierre est ajoutée à l’édifice de la nullité des constats de commissaire de justice par l’arrêt du 12 mai 2025, s’agissant d’un moyen de preuve usuel et commode.
L’arrêt de chambre mixte du 12 mai 2025
En l’espèce, il était allégué, le tiers acheteur ne présentant pas de garanties suffisantes d’indépendance à l’égard du requérant affectait la valeur probante du constat d’achat. Le tiers acheteur était le stagiaire du cabinet d’avocat de la requérante.
Il était affirmé qu’il était indispensable que la personne assistant l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un PV de constat soit être indépendante de la partie requérante et que si tel n’était pas le cas, le PV de constat était nul « sans qu’il soit besoin de s’interroger sur l’existence d’un stratagème imputable à la partie requérante ».
Dans cette affaire, la cour d’appel avait décidé que
« la circonstance que la personne assistant l’huissier de justice qui a pénétré seule dans le magasin avant d’en ressortir avec le modèle de valise litigieuse soit un stagiaire au cabinet d’avocat de la requérante est indifférente dès lors que n’est démontré aucun stratagème déloyal, la qualité de ce stagiaire étant clairement mentionné dans le procès-verbal ».
La Cour de cassation rappelle tout d’abord qu’un huissier de justice (commissaire de justice) « n’est pas autorisé à pénétrer dans un lieu privé, même ouvert au public, tel qu’un magasin pour y recueillir des preuves […] et en particulier y faire un achat […] ».
Elle indique ensuite que le commissaire de justice peut solliciter un tiers pour pénétrer dans un magasin pour y faire un achat et ensuite relater les faits et gestes de ce tiers, avant de souligner l’évolution de la jurisprudence en la matière et notamment, le fait qu’il avait été jugé qu’il était admis de recourir à un tel représentant lorsqu’il est soumis à une obligation statutaire de confidentialité ou d’impartialité.
La Haute Juridiction rappelle que cette solution, inspirée par la jurisprudence relative aux procès-verbaux de saisie-contrefaçon, avait été critiquée, compte tenu de « sa rigueur excessive et le fait qu’elle postule un risque non justifié de manipulation des preuves à l’intérieur du magasin ».
Elle indique qu’il y a lieu de juger désormais que :
« l’absence de garanties suffisantes d’indépendance du tiers acheteur à l’égard du requérant n’est pas de nature à entrainer la nullité du constat d’achat […] et qu’il appartient au juge d’apprécier si, aux vues de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d’indépendance affecte la valeur probante du constat ».
Au niveau de la mesure de constat, l’arrêt relève que le PV de constat « mentionne l’identité et la qualité du tiers acheteur précisant qu’il s’agit d’un stagiaire au sein du cabinet d’avocat de la partie requérante » et qu’il « ne peut être reproché à la requérante d’avoir tu un élément essentiel à son adversaire ou au juge et partant d’avoir été déloyal dans la mise en œuvre de ce mode de preuve ».
L’arrêt relève que le PV a constaté que « le tiers acheteur pénètre dans le magasin sans aucun sac à la main et qu’il en ressort après quelques minutes tenant ostensiblement une valise ainsi qu’une facture et un ticket de carte bancaire » remis aussitôt au commissaire de justice.
Il retient enfin que la société auteur du pourvoi « ne démontre ni d’ailleurs n’allègue aucun stratagème […] ».
La Cour de cassation juge donc que le rôle limité du tiers acheteur et le fait qu’il ait agi en permanence sous le contrôle du commissaire de justice, compensent en quelque sorte le défaut d’indépendance de ce tiers et n’affecte pas le caractère objectif des constatations mentionnées au procès-verbal.
Puis la Cour de cassation juge que « la cour d’appel a souverainement apprécié la valeur probante du constat ».
Appréciation
Cette jurisprudence ne peut qu’être saluée dans la mesure où :
- D’une part, il est certain que le constat d’achat est un mode de preuve tout à fait usuel et efficace à partir du moment où aucun stratagème n’est allégué voire dévoilé ;
- D’autre part, les circonstances de l’affaire démontrent la totale transparence avec laquelle le commissaire de justice a procédé ;
- La transposition des solutions dégagées en matière de PV de saisie-contrefaçon ne saurait s’appliquer à un constat d’achat, lequel ne présente aucun caractère intrusif et ne fait que révéler la réalité des faits ;
- Enfin, ce type d’argument relatif à une éventuelle nullité d’un constat d’huissier constitue fréquemment un moyen dilatoire et il est justifié que la Cour de cassation ne valide pas ce type d’argumentation.
Bien entendu, a contrario, si des mesures de mauvaise foi avaient été révélées, la nullité du procès-verbal de constat aurait sans doute, à juste titre, été retenue.